Nous vivons une époque formidable !  Formidable car les surprises se multiplient, les vieilles règles devenues, depuis des temps immémoriaux, des tabous intouchables, s’effondrent brutalement. Car quoi de plus tabou que de voir un « Numéro Un », appelé à régner sur le mundillo, qui ne soit pas un hidalgo pur jus mais un péruvien venu des terres conquises ? Partout on lui mène la vie dure et peut-être sera-t-il contraint de renter dans le rang. Nous le verrons dans les jours effrénés qui nous attendent mais du moins cela se sera passé… il aura régné !

Indulto toro de la Quinta Tapaboca 10/20 515 kg par Borja Jimenez Bilbao 20 août 2025 © Ferdinand De Marchi

Et voilà qu’un autre tabou est tombé hier : un toro gracié dans le temple du toro-toro, Bilbao, et, suprême étonnement indulté par celui qui se veut le gardien de ce temple, le nommé Matias scrutateur pointilleux du règlement. Un toro qui a pris (que) deux piques menées nous dit-on de manière précautionneuse. Voilà donc, « ici et maintenant », l’ultime et définitive légitimation de la grâce de l’animal comme issue éventuelle du combat. Tous les indultos qui se sont multipliés dans le sud de l’Espagne comme en France (l’an dernier) se trouvent légitimés par ce mouchoir orange bien plié dans sa boîte et lancé pour la première fois du palco Balbaïno.  

Faut-il s’en réjouir ou s’en plaindre ? L’aficion va une nouvelle fois se diviser. Mais ce sont des querelles inutiles. C’est ainsi et il faut faire avec car il y aura désormais d’autres indultos à Bilbao et d’autres dans des lieux moins côtés, se prévaudront de ce précédent dans des contextes qui ne seront évidemment pas comparables (et souvent illégitimes).

La multiplication de ces grâces donne un sens nouveau au combat lui-même : il perd une partie de son aspect sacrificiel -dans l’absence de systématisme dans la finalité ultime du rituel- mais il devient plus acceptable pour les critères moraux de la société contemporaine car « il laisse sa chance » au toro. Et nos ennemis perdent là, face au grand public l’argument (biaisé) d’un « combat inégal » où la condamnation est prononcée avant même que l’affrontement n’ait débuté.

Donc le toro peut sauver sa peau; mais pour quelle raison ? Fondamentalement « pa’a las vacas » comme le disent entre eux les mayorals. Le sang du toro brave est trop précieux pour qu’on le répende sur le sable. Sa semence est destinée à conserver, transmettre ce capital génétique dont il est doté. Il ne s’agit pas de compassion ni d’empathie (même si on peut en avoir sur le coup).

La finalité du toro est de mourir (comme celle de tout être vivant) et de mourir dans l’arène. C’est son unique perspective du point de vue de la survie de son espèce (survie miraculeuse et bien fragile dans le monde moderne). « Tapaboca » de La Quinta n’a eu la vie sauve que parce que sa « grâce » permet au troupeau -à la ganaderia-, de se perpétuer dans des conditions optimales ; tout autre considération n’est pas recevable.

Pierre Vidal