Par Inca Virgo Arte

« Quand un homme est en panne d’espoir, c’est-à-dire de passion, il meurt, exactement comme un dahlia auquel on aurait coupé la tige. »
Camilo José Cela, prix Nobel, grand amoureux des toros, écrit ses mots dans son ouvrage « L’aficionado » (édit. Verdier-1992). Mots qui peuvent résonner dans l’esprit de tout un chacun, aficionado ou pas…
Oui, la passion pour le cinéma, pour le théâtre, pour la lecture, la passion pour la corrida, la passion pour toute expression artistique, la passion nourrit l’être humain. La passion le sustente et pas seulement mentalement, le physique en reçoit également les éclats. Et l’espoir naît ou continue de vivre tel un arc-en-ciel en habit de lumières !
De chroniques en chroniques, tel un jeu de saute-mouton, la plume des aficionados, en panne d’inspiration ou d’événements à relater, se morfond dans une encre blanche, désolée. La compréhension est de mise puisque depuis un an…
Depuis un an, nous sommes – ou « on » nous place – sous la férule de l’angoisse, de l’anxiété, de la peur, de l’éloignement de tout contact chaleureux, de la privation de vie sociale dans les lieux de rencontre – bars, restaurants -, dans les lieux de nourritures culturelles – cinémas, théâtres, musées, arènes… -, un an qui oblige l’être social que nous sommes à se trouver, à se contenter, avec efforts, des journées au travail ou entre les quatre murs de son habitation. Et là aussi, vivre dans un appartement en ville ou dans un village, ou dans une maison, ce n’est pas la même chanson…
C’est un peu comme vivre sous un demi-soleil, quand ce n’est pas sous un ciel en permanence nuageux…
Mais, c’est vite oublié que la force, la résistance d’un être humain ne réside pas dans le matériel, mais dans sa force intérieure. Si le torero n’avait pas cette force intérieure, pensez-vous qu’il affronterait cette masse colossale et sauvage qu’est le toro bravo ! Et cette force intérieure, semblable à un jardin, a besoin d’être biné, ratissé, arrosé, en un mot, cultivé. Et, est-ce si étonnant d’employer le même mot « culture » pour la terre et pour l’esprit ? Alors, la quête d’outils qui permettront de vitaliser notre être ne dépend que de soi.
Quand la tauromachie a commencé à me séduire, ce combat dur, difficile, et, parfois, exceptionnel de beauté entre un homme et un fauve, m’amena à une translation avec la vie que nous avons sur terre, avec ses difficultés, ses peines et ses joies. Je compris que l’art de vivre est l’art de toréer… Toréer les situations difficiles ou aisées, toréer les relations professionnelles, amicales, amoureuses, toréer le bonheur comme le malheur… En résumé, une symbolisation de la vie quotidienne… Et cette afición, cette vie sur terre, demande à être nourrie…
Alors, l’aficionado espère, espère, espère, enfin, la concrétisation de quelques corridas annoncées. Il attend que le soleil, ou peu importe ce que le ciel concédera, apporte la joie de revoir la porte du toril s’ouvrir, tel le rideau d’une grande scène, pour faire découvrir la star d’une tragédie grecque traversée par les chants de l’universalité des émotions… Le toro ! Le fauve, orgueilleux de sauvagerie, orgueilleux d’une nature indomptée ! Et, puis, la rencontre, le combat entre l’être humain et le fauve pour créer une œuvre mouvante inouïe !…
L’attente est longue, certes, mais l’espoir doit toujours habiter le cœur de l’aficionado. Et il doit l’animer avec ferveur, avec le soufflet de vie qui est en lui et autour de lui, comme on le ferait pour un feu qui faiblit. Car c’est cet espoir qui permettra que le feu ne s’éteigne pas… Et, ce feu intérieur accepte, dans ces temps gris, tout bois.
Tout bois…
Ce bois, coupé dans les forêts de l’imagination, de la création, alimente notre feu intérieur qui nous procure énergie, vibration et force de VIE.
Ni tientas, ni corridas… Les déplacements sont suspendus aux crocs, aux cornes du virus, mais l’espoir de vie qui nous habite, peut nous guider vers l’ordinateur pour visionner des moments de faenas mémorables, pour écouter des interviews… Pour ma part, le bois dont je me chauffe, je le ramasse sous l’ombrage du feuillage de son arbre d’origine. Le livre…
Le livre, mémoire du passé, du présent… Le livre qui raconte, relate des faits historiques ou imaginés, et il y en a pour tous les goûts… Des pages, émergent les traces d’un passé qui ne connaît plus de témoins, si ce n’est ces lignes créées par un aficionado. Le passé de la tauromachie m’intéresse et me rapproche d’autant de la compréhension de son essence passée et actuelle, et me permet d’en comprendre son évolution. La tauromachie est une tradition, et comme toute tradition, elle a toujours besoin de se ressourcer à ses racines pour évoluer et grandir, tout comme le dahlia qui, sans sa tige, ne peut bénéficier des minéraux de la terre. La philosophe Hannah Arendt dans son essai « La crise de la culture » considère que la fidélité à la tradition est la condition nécessaire pour innover. Et innover signifie aussi grandir, perdurer…
Je rends hommage à tous ces auteurs que je ne peux énumérer, tant la liste est impressionnante, soulignant ainsi, à quel point, la tauromachie est une énigme artistique incroyable qui inspire à profusion, plumes, pinceaux et objectifs. Ces auteurs, depuis que la corrida existe, ont dessiné, et dessinent avec des mots, avec des traits, formes, volumes et couleurs, ou avec une caméra, des histoires, des chroniques, des romans…
J’ai plaisir également à me plonger dans le vieux livre. L’ouvrage, au papier suranné, jauni, à l’odeur d’antan, m’invite grâce à des plumes talentueuses à ressentir le plaisir de voyager, à ouvrir des horizons de réflexions sur cet art si singulier qu’est la tauromachie. Ils me font comprendre que cet art aux racines si profondes, bien qu’il soit attaqué par ignorance, ou délaissé aujourd’hui par des éditeurs sous le joug commercial, perdurera, pour une minorité certes, mais il perdurera tant que notre espoir sans faille l’escortera…
Aux éleveurs, aux toreros, aux empresarios, aux chroniqueurs, aux auteurs, aux artistes, à tous les partenaires qui, avec force et courage, se donneront la main pour former les arènes de demain, sachez que l’espoir de l’aficionado passionné pulvérise le pessimisme. L’espoir de l’aficionado passionné palpite intensément pour que cette œuvre d’art qu’est la corrida reste le nectar de son corps et de son esprit…
« Nous passons tous, sans cesse, par des seuils initiatiques. Chaque accident, chaque incident, chaque joie et chaque souffrance est une initiation. Et la lecture d’un beau livre, la vue d’un grand paysage peuvent l’être aussi. » Marguerite Yourcenar
Inca Virgoarte
23 Février 2021