Jean Grenet le maire aficionado de Bayonne vient de disparaître. Il faut pour lui rendre un dernier hommage rappeler le travail qu’il a réalisé comme chirurgien des arènes de Lachepaillet avec notamment la blessure de Joël Matray qu’il a su sauver de la mort. Voici ce qu’il nous déclarait sur ces moments dramatiques dans le livre que nous lui avons consacré: “Jean Grenet l’aficion sous toutes ses formes” aux éditions Gascogne.
Jean Grenet
Dans l’infirmerie d’une arène, il y a toujours une ambiance spéciale. Les toreros sont stressés. Et les gens qui sont autour d’eux le sont autant ; la cuadrilla notamment. On veut entrer, on veut voir. Il faut donc rétablir le calme pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions. Dans ce type de blessures, il faut une certaine expérience. Ça n’est pas ce que l’on voit sur la peau qui permet de dire ce qu’il y a dessous. Si on se fie à la peau, c’est un coup de corne, un trou. Le fait que cela paraisse anodin cela ne veut pas dire qu’Il n’y a pas de lésion grave par derrière. Il faut donc explorer. Il ne faut donc pas hésiter à faire une incision, à agrandir. Il ne faut pas se fier aux apparences. Ensuite cela va très vite, lorsqu’il y a une rupture vasculaire comme pour Joël Matray ou comme ce fut le cas aussi pour Paquirri… Paquirri qui ne doit jamais mourir dans une arène digne de ce nom. Avec une unité médicale, avec un chirurgien et un anesthésiste compétents, il ne meurt jamais… ! La blessure de Joël Matray était plus grave encore que celle de Paquirri.

Q. Peut-on revenir sur cette terrible blessure reçue à Bayonne par Joël Matray, le jeune novillero du sud-est ? On l’a cru mort en ce jour de 1982 ? Vous lui avait sauvé la vie…
Jean Grenet
C’est vrai. J’ai été confronté à la plus grave blessure qui ne s’est jamais produite dans une arène française. La blessure de Joël Matray s’est déroulée un quatorze juillet : un coup de corne gravissime, non pas la fémorale mais l’iliaque externe -située beaucoup plus haut-, et dans le ventre. Elle a un débit beaucoup plus important que la fémorale, car elle a un calibre du double. La fémorale est située sous la peau, là c’était dans le ventre ; complètement postérieur. Il y avait aussi une plaie de la veine iliaque. Artère sectionnée. Il en manquait une bonne partie. Sept centimètres. Tout le muscle psoas était labouré. Il y avait également une rupture du nerf crural, une rétraction s’est faite, on n’a jamais retrouvé le bout inférieur du nerf. Entre le moment où on a ramassé Matray dans l’arène et le moment où il est arrivé à l’infirmerie, il avait perdu environ trois litres de sang. Il y avait deux anesthésistes qui l’ont perfusé des deux côtés. J’y suis allé avec un clamp. Je schématisais dans mon esprit où se trouvait l’artère iliaque externe car j’avais très peu de temps. Je « clampais » et je regardais si cela continuait à saigner ou pas. J’ai réussi à la troisième tentative et cela s’est arrêté. On a fait compression sur le retour. Il est parti à la clinique dans cet état.
Q. Comment cela s’est passé par la suite ?
Jean Grenet
Je suis vite allé à la clinique. J’ai préparé la table et je l’ai opéré de dix-huit heures trente à vingt-trois heures. On a remplacé un morceau d’artère par un morceau de téflon de sept centimètres. Son père hurlait. Je lui ai dit : « un, il faut lui sauver la vie ; deux, il faut lui sauver le membre ; trois, il faut lui sauver la fonction. Alors commençons dans l’ordre… ». Jean Michel Gouffrant¹ était en vacance en Corse. Il était fou de colère car il aurait voulu l’opérer, sa spécialité c’était le vasculaire. La mienne c’était le viscéral. Moi j’étais là pour rendre service aux arènes de Bayonne. Pour lui, la chirurgie taurine c’est un objet culte. Il n’était pas content d’être absent. La plus grosse blessure qu’il y ait eu à Bayonne : il n’était pas présent ! Au téléphone il m’a refait l’opération : « t’as fait ceci, mais non il fallait faire cela …! »
Q. Ça s’est bien terminé tout de même…
Jean Grenet :
Oui ! Pour vous dire de quoi ces types sont faits : le lendemain matin je vais voir Matray à la clinique, dans sa chambre. Il était assis dans son lit. Il y avait un écran de télévision et il regardait tranquillement des toros dans le campo. Il avait frôlé la mort la veille mais il regardait des toros à la télé… Depuis cette opération, il m’a gardé une reconnaissance éternelle. Il a récupéré. Il a pris son alternative à Saint-Vincent-de-Tyrosse. Il m’a téléphoné pour me demander d’être le chirurgien des arènes ce jour-là. Il y tenait beaucoup. Le matin, ma femme m’a dit « mais pourquoi tu ne manges pas ? ». J’étais assez inquiet. Il faut dire qu’il était encore très handicapé quand il a pris cette alternative. J’ai pensé toute la corrida : « s’il reprend un coup au niveau de la blessure ça ne va pas être la joie ». Je n’avais pas un poil de sec toute l’après-midi. Heureusement, il a été aidé durant la « lidia » par Damaso Gonzalez¹.