
Il y a quelques jours, je faisais le point sur une temporada assez exceptionnelle puisqu’elle succède à deux ans de panne due à la pandémie et qu’elle se déroule dans une situation critique : celle de la montée de l’animalisme. Dans ce contexte, mes premières constatations se vérifient : un trio s’est installé en haut de l’affiche. Il est composé de El Juli, Morante de la Puebla et Andrés Roca Rey. Autour de cet axe, Antonio Ferrera gravite. Un ange passe : Antonio Tellez et avec lui, Tomas Rufo ; ils assurent la relève. C’est la leçon provisoire de Madrid, sorte de juge de paix, de col du Galibier si l’on veut comparer cela au Tour de France. Madrid, par ailleurs un grand succès populaire, c’est encourageant: sans doute plus de 500 000 spectateurs pour la San Isidro avec de nombreux Lleno. On ne peut rien faire contre une assistance aussi massive.
« Et le toro ? » Me disent quelques voix amicales. C’est évidemment l’essentiel du spectacle et rien ne justifie sa mise au second plan, sa réduction. Sans toros braves pas de corridas, faut-il le répéter ? Cela va de soi. C’est en tout cas ce que les aficionados du « sept », à Madrid, ne cessent « d’exiger » avec leurs pancartes indiquant : « nous voulons récupérer le toro de Madrid ». Soit, mais de quoi parlent-ils ? S’agit-il d’une question de poids ? De trapio ? D’armures ? D’encastes ? On a vu que la corrida de Samuel Flores excessivement présentée, défendue de manière exorbitante, a donné un jeu pitoyable. Celle de Fuente Ymbro composée de six mammouths de cinq ans et plus, tous le couteau entre les dents, n’a guère fait mieux. C’est bien de la recherche de la caste dont il est question.
Il faut un toro harmonieux, dans le type de son origine, aux défenses intègres, suffisamment solide et tout cela on est en droit de l’exiger d’un organisateur. Même si la présentation est essentielle on ne peut pas préjuger véritablement de la manière dont se comportera un animal en piste. C’est à dire du cœur même du spectacle. On ne peut donc pas dire d’une corrida à l’avance si elle sera “bonne ou mauvaise”. C’est le mystère du toro bravo et ce mystère est précieux, car l’incertitude fait le charme de la tauromachie ; elle maintient son intérêt.
Sans doute sous la pression des toreros -des vedettes du moins-, des empresas avec leurs veedors dépêchés dans les élevages et avec l’agrément des ganaderos eux-mêmes cherche-t-on à éliminer cette part d’incertitude essentielle. Il est stupéfiant de voir le nombre de matadors ou de novilleros -parfois débutants- qui refusent telles ou telles ganaderias car elle ne serait pas propice au succès. Honneur à ceux qui acceptent tout et triomphe avec ce qu’on leur donne, je pense à Sanchez Vara par exemple qui s’est une nouvelle fois justifié à Alès.
« Et le toro ? » Le débat est vieux comme la tauromachie elle-même. C’est un débat enrichissant. Il doit rester amical, comme il se doit entre gens de la même famille. La solidarité doit primer sur les divergences de vue. L’anathème ne doit pas prendre le pas sur la supplication. Les aficionados au toro-toro ont leurs bastions. Ils sont inamovibles. Après Alès, avant Céret, ce sera Vic-Fézensac, ce week-end, une institution singulière puisque l’intégralité du village (plus les environs) pourrait intégrer les tendidos des arènes Joseph Fourniol. En réalité les spectateurs viennent de l’Europe entière pour cette fête sauvage et enivrante.
On défend à Vic, le toro-toro depuis des générations et l’équipe actuelle s’inscrit dans cette tradition. La présentation sera impeccable et le lieu, en raison de la proximité entre les gradins et la piste, est privélégié pour scruter le déroulement du combat dans ses détails. Ce combat, c’est en fait ce qui nous passionne : nous le voulons loyal, intègre, sans tricherie. Nous voulons saluer un animal unique, dans sa splendeur naturelle et dans ce sens les croisements contre nature, les « adoucissements » provoqués n’ont pas notre agrément. Sortir de l’artificiel, chercher l’essentiel, discerner la vérité n’est-ce pas la quête du monde moderne ?
Pierre Vidal