Beziers 15-08-2018

Le matador arlésien Juan Leal vient d’écrire une lettre au Président de la République Emmanuel Macron qui a été publiée par le site espagnol “Applausos”. En voici la traduction:

Monsieur le Président,

Vous avez toujours défendu la culture qui, selon la définition de l’UNESCO, « désigne un ensemble de pratiques dans lesquelles une certaine communauté humaine exprime ses valeurs, sa sensibilité et, finalement, son identité existentielle ».

Les communautés du sud de la France partagent leur passion pour le taureau, se mesurant à lui dans des spectacles plus ou moins tragiques depuis le Moyen Âge. Parmi toutes ces traditions, la tauromachie représente un rite unique et particulier. Je laisserai volontairement de côté toutes les raisons sociologiques, écologiques ou économiques qui suffiraient à le défendre. D’autres l’ont fait très explicitement et il est connu de tous que seule la tauromachie assure l’existence de la race de taureaux de combat, protège un écosystème unique et soutient une économie agricole et touristique très importante dans de nouvelles régions.

Je me limiterai à parler de mon statut de torero. De l’engagement que j’ai chaque après-midi que je combats, mettant mon existence en jeu et donnant un sens à ma vie et la haute idée de ce que le mot liberté représente pour moi. Au vu du débat large et démesuré qui s’est élevé il y a quelques semaines autour d’un projet de loi visant à interdire la tauromachie, force est de constater qu’il n’est pas facile de se comprendre. Pour ceux qui ne connaissent pas la tauromachie, la corrida peut même être insupportable, et ils confondent dévouement et cruauté, risque et inconscience. Et, en effet, comment comprendre qu’on tue le taureau alors que c’est l’animal qu’on aime le plus et dont on s’occupe avec passion et soin pendant quatre ans pour enfin l’emmener dans une arène ?

La réponse jaillit sans hésitation : Qu’est-ce qui me pousse chaque soir à risquer ma vie en flirtant avec l’essence même de la condition humaine et réaffirmant ainsi la supériorité de la vie sur la mort ? Il ne fait aucun doute que c’est là le nœud du problème, car c’est clairement de cela qu’il s’agit. C’est pourquoi je vous écris, Monsieur le Président, ainsi qu’à ceux qui ne veulent pas nous comprendre, et nous reléguer au rang d’irresponsables barbares. Notre passion est légitime et légalement reconnue. C’est la réaffirmation de notre communauté culturelle et de son droit au respect qui sera débattue le 24 novembre à l’Assemblée nationale.

Je suis torero par passion et par conviction. Malgré tout et tout le monde. Ma vie c’est rencontrer le regard d’un taureau brave, avec ses cornes et ses cinq cents kilos de violence sauvage chaque après-midi au centre du ring. Je dois apprivoiser cette menace, réussir et transmettre mes sentiments aux fans. De ma confrontation avec le taureau naîtra une œuvre d’une beauté éphémère, d’incroyables arabesques qui transformeront un public disparate mais uni dans les gradins en un ensemble d’émotions, témoin que la tauromachie est le dernier lien entre l’être humain et ses origines.

La société que défendent nos ennemis ne fait pas de différence entre les hommes et les animaux. Ce n’est pas une manière de respecter l’un ou l’autre. Ce que nous demandons, c’est la liberté de vivre nos vies conformément à nos valeurs, notre sensibilité et, finalement, notre identité existentielle. Dans ce combat légitime, Monsieur le Président de la République, j’espère pouvoir compter sur votre soutien.

Recevez, Monsieur le Président, l’expression de mon profond respect.

Juan Leal