Lu dans le journal “L’Humanité” du 16 décembre dernier cette tribune éloquente sous la plume de l’éditeur et écrivain Jean Le Gall, un éclairage pertinent sur les raisons et conséquences de la proposition de loi Caron. Caron qui va déposer un nouveau projet de loi pour l’interdiction de la corrida dans le cadre de la niche parlementaire des Verts. Cela ne fait pas l’unanimité à gauche comme on le voit parfaitement dans cette tribune.
https://www.humanite.fr/en-debat/gauche/gauche-l-urgence-d-un-retour-au-concret-775169

“Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, les groupes minoritaires à l’Assemblée nationale disposent d’une journée par mois au cours de laquelle ils décident seuls des textes à débattre à l’hémicycle. C’est ce qu’on appelle une « niche parlementaire ». Les oppositions trouvent l’occasion de présenter leurs priorités. Le 24 novembre, c’est au tour des députés insoumis de profiter de ce moment d’initiative législative. A la surprise générale, ils ont décidé de retirer de l’ordre du jour le projet de loi portant le salaire minimum à 1.600 euros net. Pourquoi cette dérogation ? Pour donner plus de visibilité à une autre de leurs propositions, celle-ci visait… l’« abolition » de la tauromachie.
D’où cette question : le combat social est-il devenu si accessoire à gauche qu’il puisse être sacrifié au profit d’une polémique, d’une contestation aussi ancienne que caricaturale ? Passons sur le fait que l’homme à l’origine de ce texte, M. Aymeric Caron, est député FI du 18ème arrondissement de Paris et qu’il semble discutable que les corridas soient l’urgence des habitants de la porte de la Chapelle. Passons également sur l’argument principal de la loi, à savoir la protection des animaux, dans la mesure où seuls les partisans de ce député semblent ignorer que la survie du « taureau de combat » dépend de la tauromachie – tout comme ils semblent négliger que les animaux concernés vivent dans des conditions très enviables à l’ère de l’agriculture intensive. Passons enfin au mépris en bande organisée qui permet d’évoquer sans complexe l’hypothèse de départements français en partie peuplés de « barbares ».
L’archaïsme de ces points de vue (sur la province, sur le Sud, sur le peuple) se parant de modernité, il a semblé à certains que la cause des taureaux l’emportait sur celle des ouvriers. Que le bien-être animal l’emporte sur le bien-être social. Et même cet anti-spécisme, qui définit l’humanisme comme un « suprémacisme » (!), pourrait s’accorder avec une notion plus large de progrès. C’est l’honneur de plusieurs élus du PS et du Parti communiste de ne pas avoir validé ce nouvel ordre des choses.
Dans ce pays, décidément, les difficultés que connaissent les « bas salaires » restent insoupçonnées. Cependant, le niveau d’alerte a été atteint. Et le déclassement de certaines catégories confirmé par tous les instituts. Ouvriers, agents d’entretien touchent le Smic avec vingt-cinq ans d’ancienneté. En 2022, 65 % des Français voient au moins une personne en situation de pauvreté – un bond de 10 points par rapport à 2021. Quant à l’écart de revenu entre les mieux payés et les moins bien traités, il augmente (beaucoup) plus vite que les températures. Enfin, d’un point de vue sociologique, les succès du hard-discount, des bons de réduction et l’explosion de toute une « économie du bricolage » devraient alerter ces élus en lévitation qui ont succombé au mythe de l’hédonisme urbain et du vélo pliant. à 1 500 euros. Certes, il serait idiot de résumer les moyens politiques à l’ancien levier du salaire minimum. Cela au moins se discute, se débat. Idéalement à l’Assemblée nationale ? Indispensablement à l’Assemblée nationale !”