Une assistance clairsemée, demi-entrée seulement, avait fait le déplacement à la Plaza Real du Puerto pour les adieux de Ponce à l’aficion gaditana. Le moins que l’on puisse dire c’est que les absents ont eu tort, non pour la qualité des toros mais pour celle des toreros. Six Garcigrande, garcichicos plutôt, dont seules les armures étaient respectables, de comportement plutôt décastés, manso perdido le second, potable le dernier, pour :

Enrique Ponce une oreille et deux oreilles après avis,

Daniel Luque une oreille et deux oreilles

David Galvan une oreille et deux oreilles

Vous l’aurez compris les trois toreros sont sortis en triomphe, triomphe mérité ce soir tant la mise en valeur des toros est du seul fait de l’art et de la technique des trois maestros qui ont donné chacun à sa manière une grande leçon de tauromachie.

Nous jetterons un voile pudique sur le premier passage de Ponce qui toréa « fuera de cacho » et à une distance respectable son premier. Une entière desprendida de travers et plate lui permit de couper l’oreille de l’amitié.

A son second, le futur retraité décida de passer la vitesse supérieur et de rappeler qu’il est le professeur Ponce. Après avoir brindé son toro à Firmin Bohorquez, et aux accents de la musique du film Mission d’Enio Moriconne remarquablement interprétée par les quatre-vingt dix musicien de la banda de musica du Puerto, le valencien fit montre de toutes sa science et de son art. Il alterna des circulaires infinies d’une lenteur à couper le souffle de la main droite puis de la main gauche. Ce furent ensuite les circulaires inversées toujours dans la même lenteur les cornes à frôler la flanelle et enfin bien sûr les poncinas. L’avis tombe mais le public est debout accompagnant dans son ovation le torero et les musiciens. La mise à mort en deux temps n’empêchera pas les deux oreilles réclamée par une foule en liesse aux cris de « torero torero ». La vuelta al ruedo est particulièrement fêtée avec les classiques palmas por buleria. Ponce salue au centre les larmes aux yeux et à la demande générale repart pour une deuxième vuelta tout aussi chaleureuse.

La grande leçon de tauromachie c’est Daniel Luque qui va la donner ce soir à son premier toro. C’est une infâme chèvre petite et mal foutue au moral aussi moche que son physique. Plus manso il ne peut y avoir, fuyant quand on l’appelle et chargeant au hasard en recherche d’une hypothétique sortie. Au capote Luque ne pourra qu’essayer au final de le garder dans une longue passe en cercle. Le public hurle au changement, mais on ne change pas un manso on le torée et Daniel Luque va en faire la démonstration. Auparavant Ivan Garcia aura salué à l’issue de deux formidables paires. Dans une faena puissante Luque va expliquer à l’animal qu’il n’a pas le droit de quitter du regard sa muleta. Sur les deux bord il va lui imposer des séries d’une grande profondeur et d’une formidable limpidité. Il va inventer un toro par son pouvoir et faire passer le couard pour un brave sans jamais céder un pouce de terrain. Beaucoup de toreros, et des plus grands, seraient sortis du callejon épée de mort en main, lui non ! Il donne une faena construite, et pour ne pas lâcher l’animal qui ne demande qu’à fuir, il se fait apporter l’épée de mort restant à la face de l’animal et porte une estocade tombée et tendue nécessitant l’usage du verduguillo et c’est peut être ce qui lui coûtera la deuxième oreille pourtant réclamée à l’unanimité pendant que le toro se fait conspuer à l’arastre.

Daniel Luque brindera son second à l’équipe médicale qui il y a un an, l’avait opéré dans ces mêmes arènes de sa grave cornada. Auparavant il avait reçu l’animal par de bonnes véroniques. Ce n’est pas un foudre de guerre, il manque de caste mais rien à voir avec le précédent. Le toro donne du jeu et Luque en profite dans une faena à màs essentiellement par naturelles en série. La clôture sera par luquesinas la marque de fabrique de la maison. L’estocade en se mouillant les doigts fait rouler le Garcigrande au sol « sin puntilla » les deux oreilles sont bien méritées .

David Galvan hérite en premier lieu d’un torito de cinq ans dont les cornes doivent peser plus lourd que le reste du corps. Au capote il donnera un bon quite par chicuelinas alternées avec des tafalleras. Le début de faena est perturbé par des coups de cornes intempestifs en direction du ventre mais Galvan réduit le problème en prenant rapidement la main gauche toréant la main basse de face et alignant de bonnes séries. Lors du retour à droite le toro est assagi et permet une certaine profondeur sans que toutefois que l’émotion soit à son comble loin de là. Une bonne estocade complété d’un descabello lui permet de couper une oreille.

Il faudra attendre le dernier pour enfin rencontrer un toro brave digne de ce nom. Galvan l’entreprend par de belles véroniques templées, enfin un toro qui ne sort pas seul de la percale et revient. Il poussera un peu sous l’inique pique et arrive avec de bonnes disposition à la muleta. La faena sera essentiellement à senestre par de belles séries de naturelles, la caste de l’animal permet une transmission certaine et si nous n’atteignons pas l’émotion suscitée par un Ponce ou un Luque, le public profite d’une belle prestation artistique qui se conclura au mieux à l’heure de vérité. Pas de jaloux ce soir ce seront deux oreilles aussi.

Après les deux premières soirées en demi-teinte et les deux bonnes non piquées, la temporada estivale du Puerto prend son envol espérons que le soufflet ne retombera pas demain avant le grand cartel de l’été Morante qui revient en pleine forme Roca Rey et Gines Marin devant les Nunez del Cuvillo.

Jean Dupin