Le 29 août 1947 mourrait Manolete à Linares; on connaît l’histoire d’Islero ce toro de Miura peu impressionnant et de l’enchainement de circonstances qui ont conduit à cette tragédie. Tout le monde n’est pas blanc dans cette histoire et Manolete, mort dans d’atroces souffrances, n’aurait peut-être pas dû se présenter à Linares telles étaient grandes sa fatigue et violente la pression de ses adversaires qui contestaient sa place de numéro un. Place pourtant difficilement discutable au regard de la passion que le torero cordouan provoquait dans le public.

« Nous avons faim mais nous avons Manolete » disait-on dans ces années les plus sombres du franquisme. Manuel Laureano Rodríguez n’aura vécu que trente ans mais il aura révolutionné la tauromachie et sans doute aucun autre que lui n’a mieux exprimé les sentiments populaires de l’époque. Il incarnait par son hiératisme l’esprit de sacrifice, par sa verticalité et son aguante la vaillance nécessaire pour affronter les ténèbres de la tyrannie et de la misère. Il avait ce courage indispensable à la traversée de ce désert. Et sa démarche triste, résignée, son fatalisme face à la mort annoncée expriment mieux que tout, la noirceur d’une époque terrible, désormais oubliée.

Même si l’exploitation du passé a quelque chose de futile et de trop systématique – c’est un fond de commerce quand il s’agit de tauromachie-, il y a des souvenirs que l’on ne doit pas oublier car les morts vivent dans nos pensées et dans nos célébrations. La mort de Manolete a été un choc national chez nos voisins espagnols ; chacun se sentant concerné directement par le drame. Il faut être une sorte de géant pour provoquer un tel sentiment, à ce titre il est nécessaire de se rappeler de la tragédie de Linares.

PV