Roberto Dominguez tire sa révérence. Il l’annonce dans une longue lettre adressée a mundotoro.com, il abandonne le milieu taurin et il quitte Andrés Roca Rey ce torero « atypique » avec il constituait un couple fusionnel. C’est sans aucun doute, pour le numéro un actuel, un coup très dur car à son impétuosité, Roberto amenait un penchant pour la modération, le souci du ménagement nécessaire à la durée. C’était pour Andrés l’homme idéal. Son départ va changer la donne, Morante jetant l’éponge, Roca Rey fragilisé, l’avenir est désormais incertain.
Roberto Dominguez avait exéprimenté les avant-postes au côté du Juli et sans doute cette expérience fut décisive pour maintenir la position du génial péruvien, injustement attaqué de toute part. C’est aussi et surtout un grand monsieur de la tauromachie qui nous quitte: un torero important, un stratège solitaire qui savait se tenir loin des cloaques du milieu, un homme de foi en son torero sans chercher la lumière pour lui-même. Son intelligence, sa force de caractère et surtout son élégance -pour laquelle il a brillé en piste- nous manquerons. D’une certaine manière ce départ soudain est exemplaire et beaucoup devraient s’en inspirer.
PV
Voici le texte intégral de cette lettre:
‘Merci et au revoir
Les toreros ont une manière très particulière d’évaluer le monde qui les entoure lorsqu’ils sont actifs. Nous ne savons pas bien gérer le temps que nous consacrons aux courtisans, aux conseillers et aux opportunistes attirés par le parfum du succès. Parfois, on se rend compte trop tard du peu de temps que l’on consacre à l’écoute de ceux qui vont vraiment nous marquer.
Je dois admettre que j’ai été privilégié en ce sens car, après ma retraite, la tauromachie m’a donné l’opportunité de disposer de ce temps pour mieux valoriser ce qui en vaut vraiment la peine. C’est pourquoi je pense que le moment est venu d’être reconnaissant de tout ce que ce monde taurin m’a apporté, même si j’avais la réputation de l’éviter et de le vivre de manière atypique.
Les années d’enfance à rêver d’être torero sont loin, les deux décennies en tant que professionnel à savourer les succès et à apprendre des échecs, les cinq années derrière les micros de Vía Digital à apprécier ce que mes collègues faisaient sur le ruedo, même les onze ans passés à côté de Julián López « El Juli » dans une époque de maturation, de doutes et de triomphes. Beaucoup plus récent est l’apprentissage avec Andrés Roca Rey, un torero atypique, qui à un moment crucial de sa carrière a voulu mon avis à ses côtés. Ce dont je le remercie.
Et moi, qui ai toujours été critique à l’égard des adieux et de la tentation de profiter de l’élan du dernier train, je ressens désormais le besoin de clore ainsi le chapitre taurin de ma vie.
Je pense que le moment est venu d’accepter toutes ces critiques et tous ces éloges qui témoignent de ma chance. Une chance qui a un nom et un prénom, celui de ceux qui m’ont accompagné à chaque étape. Mon oncle Fernando Domínguez, professeur de vie et de tauromachie ; Fernando Fernández Román, à ses côtés, j’ai appris une autre façon de raconter le spectacle taurin que nous, professionnels, ne pouvons pas voir lorsque nous sommes dans l’arène ; Julián López « El Juli », parce qu’étant si jeune et avec le commandement du torero, il m’a fait une confiance aveugle, valorisant chacune de mes réussites et acceptant mes erreurs ; Andrés Roca Rey qui m’a appris une nouvelle façon de vivre et de gouverner la tauromachie, avec la roulette russe quotidienne de sa livraison nue et déchirée, sans se soucier des circonstances ni de l’état du toro, imposant sa loi. La loi qui prévaut désormais chez les nouvelles générations de fans qui croient à nouveau au mépris absolu du risque, de l’idole, du héros.
Je tiens également à remercier tous les hommes d’affaires taurins avec qui j’ai eu affaire et qui m’ont toujours respecté, sachant que mes exigences et souvent mon intransigeance étaient motivées uniquement et exclusivement pour défendre ceux qui m’avaient fait confiance. À tous les éleveurs, qui ont compris qu’au-dessus de l’amitié et de mes goûts personnels, le taureau qui pouvait le mieux contribuer à la réussite du torero qu’il représentait de tout temps a toujours prévalu. A toutes les cuadrillas et à tous mes collègues dont l’admiration s’est accrue au fil du temps. Et surtout aux aficionados, qui sous toutes les facettes et depuis tant d’années, ont été au quotidien le meilleur souvenir.
Le 25 juillet 2023, Andrés a eu un accident dramatique à Santander dont il est miraculeusement sorti indemne, étant, avec la blessure de Julián à la foire d’avril 2013, les pires moments taurins de ma vie. Lorsque je me suis approché de la barrière pour lui demander comment il allait, il m’a répondu d’un air perdu : « Je n’arrive pas à expliquer pourquoi il ne m’est rien arrivé ». Aujourd’hui, je récupère les mots que je lui ai dit alors. « Tu auras toujours de la chance parce que tu le mérites. » Un document inédit qui est rapporté dans le film « Après-midi de solitude » d’Albert Serra. Un documentaire qui, grâce à Andrés, a réveillé l’intérêt des intellectuels pour la tauromachie, passant du débat folklorique à une réflexion beaucoup plus profonde.
Pour des détails comme celui-ci, j’espère que les aficionados et les critiques comprendront l’importance et la responsabilité d’Andrés et sauront le reconnaître comme un bastion absolu de la tauromachie mondiale et un lien fondamental avec les nouvelles générations de fans.
Roberto Domínguez