Au cours de la récente soirée qu’il a passée au Club taurin de Paris, Ruben Amon a montré beaucoup plus d’optimisme que ne l’aurait laissé penser le titre de son livre : la fin de la fête. Voici le compte-rendu de cette très intéressante soirée rédigé par Martine Bourand membre très inspirée du CTP.

« Pour sa  deuxième soirée de la temporada 2024-2025 le  CTP a eu le plaisir de recevoir Rubén Amon  pour son essai  El fin de la fiesta parue  en 2021  en version  espagnole  et traduit en français en 2022 par Adrien Gérard  aux éditions le Diable Vauvert sous le titre : la fin de la fête .

Pour introduire la soirée,  Aracelli Guillaume nous présente l’auteur  : Rubén Amon, né en 1969 à Madrid est un  homme qui a plusieurs cordes à son arc, polyglotte, journaliste politique et géopolitique, spécialiste de l’opéra et de la tauromachie, chroniqueur taurin  et même critique taurin à une époque. Il publie ou publia dans  El mundo, El Confidential, El Pais et dans des journaux étrangers. Egalement homme de télévision, il dirige entre autres sur Onda Cero l’émission la cultureta.

Jean Davoigneau et Ruben Amon, complices pendant la soirée au Club Taurin de Paris. ©JYB

Les échanges se feront en français sous la conduite de Jean Davoigneau qui ouvre les débats par cette question:

Ce livre a été écrit en 2021, en 2024 l’écririez vous à l’identique ?

Avant toute réponse, Rubén Amon s’amuse du fait que le lieu où se déroule la soirée  évoque la clandestinité !

Concernant la question, il se dit bien plus optimiste quant à la corrida et à son avenir qu’en 2021, période très difficile pour le milieu avec la période COVID,  où l’interrogation : que faire des toros bravos ? se posait, sachant que les éleveurs n’ont pas bénéficié d’aide du gouvernement ?

Depuis, les choses ont changé, les jeunes reviennent aux arènes, probablement parce qu’ils ont pris conscience que la corrida pouvait disparaître. Jamais autant de jeunes ne sont venus découvrir la corrida. Par ailleurs, deux autres facteurs ont  contribué à ramener le public aux arènes : la contre réaction face aux menaces d’interdiction  avec un changement de regard de la société plus sensible au fait de réfléchir par elle-même. Les publications des mouvements anti taurins moins nombreuses qu’il y a trois ans, sur les réseaux sociaux,  en témoignent. Le second facteur est  le phénomène Roca Rey, idole transatlantique, cosmopolite,  qui amène beaucoup de monde aux arènes, figure héroïque comme le fût Dominguin, portant des valeurs de courage et de charisme. Aller voir Roca Rey c’est également aller voir des toreros tels que Morante, Pablo Aguado, Gines Marin, toreros d’art ainsi que des  toros les plus intéressants de l’histoire de la tauromachie grâce à des  éleveurs de plus en plus professionnels.

Pour autant les milieux artistiques espagnols véhiculent toujours des contre vérités à son encontre , pour exemple,  le commissaire de l’exposition Goya au Prado qui présenta Goya comme un anti taurin alors qu’il avait à la fois, une passion pour la corrida et de solides amitiés avec des toreros. Son aficion totale transparaît toujours à travers ses dessins expressionnistes. Ou, encore,  le ministre de la culture qui exclut la tauromachie et ses représentants  de la remise des prix des  beaux arts.

Couverture du livre de Ruben Amon paru en 2021.

Il regrette la position de la gauche espagnole, pour qui la tauromachie représente le passé, une vision de l’ancien régime, opinion défendue par les nationalistes catalans. Ce qui amène à la situation paradoxale, où  les aficionados catalans se retrouvent à chanter l’hymne catalan, aux arènes de Céret !

La tauromachie est une expression artistique  liée à la Méditerranée, elle est cosmopolite. Les reproches qui lui sont faits, d’être liée à l’ancien régime, pourraient dans ce cas, tout autant s’adresser au Real  Madrid avec la période franquiste. Le parti d’extrême droite  VOX  et Morante qui travaille pour lui, en prenant la défense de la tauromachie, risquent de lui faire du tort. Ainsi la tauromachie se trouve tiraillée entre la gauche et l’extrême droite.

Quel est l’impact du documentaire D’Albert Serra, Tardes de soledad, dont le personnage central est  Roca Rey, primé au festival international du film à San Sébastian ?

Rubén Ramon a visionné le film à Madrid  avec Roca Rey, lors d’une projection organisée par Serra avec un public averti,  en avant première. Il rapporte que Roca Rey s’est senti trahi par rapport à ce que lui, voulait raconter en se livrant à Serra. Mais, grâce aux anti taurins qui ont voulu l’interdire en tant qu’apologie de la tauromachie, le film a rencontré un certain succès, déclenchant le réflexe : « Si les anti sont contre alors le film doit être intéressant ». Le film retient avant tout la violence et le sang, la guerre et, omet la part d’art de la tauromachie dont Serra n’a pas compris la dimension, ce qui explique la disparition d’Aguado du projet qui à l’origine, réunissait les deux toreros.  Serra développe, selon lui, une vision de psychopathe de la corrida, l’absence de public visible mais toutefois présent crée  une atmosphère oppressante.

Si la tauromachie est un scandale c’est parce qu’elle représente tout ce que craint la société, la mort qu’elle cache, la masculinité, valeur désormais négative, la liturgie dans une société sécularisée qui occulte la dimension religieuse ou  même païenne des rites, la hiérarchie, l’héroïsme.  Avec  comme personnage central,  le torero, héros, sur le chemin de la perfection face au héros occasionnel.

La tauromachie doit donc se protéger et pour cela respecter l’eucharistie,  la mort et le sang et non pas négocier ses valeurs avec la société. Spectacle exceptionnel, elle  doit pour survivre  le demeurer.

La tauromachie est-elle conceptuellement discriminante ?

Si la démocratie est le meilleur système politique pour autant la tauromachie n’a rien à faire avec elle, elle fonctionne au mérite et de ce fait admet une hiérarchie.

Ruben Amon attentif aux questions des membres du Club Taurin de Paris, le 29 novembre 2024. ©JYB

La France est-elle le miroir de l’Espagne ou a-t-elle une autre vocation ?

La France représente un modèle de résistance dont  Simon Casas fut un acteur. Avant, les empresas espagnols étaient en France en territoire de colonisation mais, elle a trouvé son propre chemin pour la défense de la corrida et est devenue un modèle auto suffisant  désormais,  à la fois,  caution morale et modèle de résistance. Modèle de résistance face à la pression, à travers l’organisation de ses spectacles et ses aficionados. Elle offre un schéma à suivre. Il y a de la tauromachie dans le sud, Nîmes, Arles, Béziers, Dax … sans considérations politiques.

Que pense-t-il  du torero Morante de la Puebla ?

 Rubén Ramon le considère comme le plus grand torero de tous les temps, avis qu’il partage avec les anciens toreros  qui ont vu Paco Camino et bien d’autres  mais qui n’ont jamais rencontré  un torero comme lui. Il rappelle comment à Cordoba, après s’être recueilli sur la tombe de Manolete, le soir dans l’arène, Morante exécute pour la première fois, une manoletina. C’est un torero qui fait le lien entre le passé et le futur, spectacle total, la tauromachie a besoin de lui.

La corrida s’apparente-t-elle  à la religion, à la transcendance  à un côté mystique ?

Si on vient à la corrida pour Roca Rey,  on y reste pour les toreros d’art qui révèlent le mystère. La tauromachie est protégée par l’originalité de l’expérience qu’elle propose : barbarisme ou civilisation totale par la codification de la violence  par la dramaturgie et l’esthétisme ? Rite pour faire de la mort un mystère avec une prise de risques totale pour le torero qui lui donne toute sa légitimité à l’opposé de la mort cachée des abattoirs. Il ne faut donc renoncer à rien.

La télévision est-elle une démystification de la corrida par la multiplication des spectacles ?

La télévision est indispensable à la corrida, sans télévision la connexion avec la société ne se fait pas. Du reste, une corrida non télévisée comme celle de Jose Tomas , attire beaucoup de monde aux arènes et autant de téléphones portables qui filment ! Canal plus est un exemple de vulgarisation réussie de la corrida. Malheureusement, la chaîne taurine  One toro est dans une situation critique, faute de moyens.

Le mystère n’existe pas à la télévision, mais sans télévision plus de tauromachie.

La corrida, sujet tabou, lors des conversations privées, souffre de l’insuffisance  de relais médiatiques. El Pais ne parle plus de toros face à la progression des anti taurins. La tauromachie traîne toujours une mauvaise réputation, alors que la période de l’afeitado a fait place à une exigence d’intégrité du toro. Des rumeurs circulent comme au sujet de Roca Rey pour tuer la crédibilité du spectacle (caleçon blindé, cornes protégées …). Seuls les journaux conservateurs parlent de la corrida, les médias de gauche l’ignorent. Alors que toutes les valeurs peuvent s’y retrouver : de gauche, de droite, le passé, le futur, la religion…

Le mundillo n’est-il pas son premier ennemi ?

Il y a des erreurs de gestion dans certaines arènes  même, si beaucoup d’arènes attirent du monde et  que de  nouvelles s’ouvrent, mais des arènes de première catégorie comme Bilbao sont vides, à la fin du mois d’août depuis l’abandon de l’ancien empresa.

Le nombre de  novilladas  organisées est insuffisant pour les nombreux élèves des écoles taurines alors qu’elles sont le passage obligé pour  devenir torero. Cependant la dernière temporada a révélé des novilleros intéressants. En Amérique règne  une tendance lourde à l’érosion de la corrida : au Mexique, en Colombie, au Pérou, en Equateur. Cette situation difficile s’est construite, encore une fois sur un malentendu politique, la corrida comme symbole culturel de l’Espagne colonisatrice face aux nationalismes. Ironie de la situation, en Colombie alors que la violence gangrène le pays que de nombreux hommes sont tués, la cause animaliste fait son chemin !

Que pensez-vous de l’indulto ?

Rubén Ramon  y est opposé, sauf circonstances exceptionnelles, il y voit un mécanisme du mundillo pour négocier avec la société.

Il est persuadé que pour défendre la corrida, il faut invoquer l’héroïsme, l’érotisme, le mystère, la mort qui sont ses seules justifications  et non pas l’écologie.

Elle est art,  inutile, éphémère, gaspillage autrement dit  la part maudite  qu’elle se doit  d’assumer. »

Texte Martine Bourand

Ruben Amon dédicace La fin de la fête pour les membres du Club Taurin de Paris, le 29 novembre 2024. ©JYB

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