Par Humbert Rambaud et Vincent Piednoir
Publié le 27 décembre à 15h18
FIGAROVOX/TRIBUNE – Pour les journalistes Humbert Rambaud et Vincent Piednoir*, spécialistes du monde rural, les revendications sectorielles en faveur de la cause animale émanent de militants à la vision politique réduite, incapables de considérer l’intérêt général.
*Humbert Rambaud et Vincent Piednoir sont respectivement le rédacteur en chef et rédacteur en chef adjoint du magazine Jours de Chasse.
En démocratie, ce n’est pas parce qu’une cause se politise qu’elle est, à elle seule, capable de fonder une politique au sens large. Une vision politique – a fortiori un programme – suppose une amplitude de considérations par essence irréductibles au prisme de la revendication spécifique, si louable soit-elle. En cette période troublée où, au moins depuis la dissolution, le pouvoir français se caractérise par l’instabilité et la paralysie, il est permis de s’inquiéter qu’un tel principe – pourtant capital – finisse en lambeaux. Affirmation abstraite, propos d’idéalistes ?
Alors qu’il est encore de bienveillants esprits désireux d’interdire ou de limiter la notation chiffrée à l’école – par crainte de discriminations ou traumatismes –, d’autres n’ont, sur un sujet différent, il est vrai, pas du tout ces prévenances excessives. Ils déclarent sans sourciller : élève Emmanuel Macron, 3,5/20 ; élève François Bayrou, 7,5/20 ; élève Bruno Retailleau, 0,5/20 ; élève François-Xavier Bellamy, 2,1/20 ; élève Aymeric Caron, ah, enfin, 18,9/20 ! Mais qui donc, se demande-t-on, confisque ainsi la voix et les prérogatives du professeur, et en vertu de quelle copie, de quel devoir ?
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Réponse : un site Internet assez peu connu du grand public, appelé «Politique & Animaux» et administré par une association qui, elle, n’est désormais inconnue de personne : L214. L’objectif de cet «observatoire» créé en 2011 ? Rendre compte de l’action des politiques sur la condition des animaux en France, à partir de l’analyse de leurs prises de position eu égard à quelques thèmes : animaux de compagnie, divertissement, chasse et pêche, mer et pisciculture, élevage, expérimentation, animaux liminaires, et droit animal. Ce faisant, plus de 3900 personnalités (membres du gouvernement, députés, sénateurs, maires, etc.), plus de 130 municipalités et plus de 25 partis reçoivent une note – évidemment évolutive –, laquelle constitue une moyenne qui permet à l’internaute de savoir en quelques clics si tel individu, telle municipalité ou tel parti «agit pour», «penche pour», «penche contre» ou «agit contre les animaux».
Pratique, fort bien conçu et mis à jour – ce qui suppose un travail de titan, et donc de substantiels moyens –, le site propose en outre d’interpeller directement, par un courriel pré-écrit à cette fin, la personne ou l’entité en question. Exemple : «Monsieur Éric Ciotti, Je fais partie des 84% de Français qui jugent la cause animale importante (dont ruraux : 84% ; Paris : 83% ; Gauche : 85% ; Maj. prés. : 83% ; Droite : 80% ; RN : 83%). Sur la page https://www.politique-animaux.fr/eric-ciotti, je constate que vous tendez à freiner l’amélioration du sort des animaux. Cela me déçoit de votre part et j’espère vous voir bientôt agir en faveur des animaux. Cordialement», sachant qu’Éric Ciotti plafonne ici à 5,6/20. Autre exemple : «Madame Sandrine Rousseau, Je fais partie des 84% de Français qui jugent la cause animale importante (dont ruraux : 84% ; Paris : 83% ; Gauche : 85% ; Maj. prés. : 83% ; Droite : 80% ; RN : 83%). Sur la page https://www.politique-animaux.fr/sandrine-rousseau, je constate que vous contribuez activement à améliorer le sort des animaux. Je vous en félicite et vous encourage à poursuivre vos actions déterminantes pour les animaux. Cordialement», l’élue écologiste arborant, pour sa part, un beau 18,3/20.
Toujours est-il que si les bonnets d’âne sont plus nombreux à droite qu’à gauche, l’intention demeure transpartisane : qu’importe la couleur politique, seule compte l’action favorable ou défavorable aux intérêts des non-humainsHumbert Rambaud et Vincent Piednoir
Certes, la dimension infantilisante et même régressive de la méthode pourrait prêter à sourire. Cependant, tandis que notre pays oscille actuellement entre colère et écœurement, appréhension et impuissance ; que, comme en témoigne notamment la récente libération de Paul Watson, la désobéissance prétendument civile se mue désormais en vertu, et continuera, de fait, à inspirer d’autant les vocations à enfreindre la loi positive ; que, de façon concomitante, l’on observe une accélération de la perte du sens de l’intérêt général et un affaiblissement de l’exercice effectif de la souveraineté nationale – conditions sine qua non de la vie démocratique –, tandis qu’enfin pas un jour ne s’écoule sans que la sommation des «causes» particulières ne contribue à saucissonner l’unité déjà fragile de la France, la grille de lecture offerte ici par L214 via «Politique & Animaux» pour séparer a priori le bon grain de l’ivraie a valeur de symbole et d’inquiétant symptôme. Car juger les affaires de la cité à travers la seule lorgnette «animalitaire», c’est encourager le citoyen à réduire encore et encore la perspective qui devrait être la sienne. Certaines idéologies fleurissent, ne l’oublions pas, sur l’accroissement de la défiance à l’égard des représentants politiques. Une défiance qui, aujourd’hui, flirte avec les cimes, chacun le sait.
Toujours est-il que si les bonnets d’âne sont plus nombreux à droite qu’à gauche, l’intention demeure transpartisane : qu’importe la couleur politique, seule compte l’action favorable ou défavorable aux intérêts des non-humains. C’est là un élément récurrent, et très peu souligné, de ce type de discours militant inféodé à une unique raison d’être. Lorsque à la suite des dernières législatives, comme à la suite de la nomination de Michel Barnier puis à la suite de celle de François Bayrou, Hélène Thouy, coprésidente du Parti animaliste, a réclamé la création d’un ministère de la Condition animale, elle a pris soin d’indiquer : «À l’heure où notre société est fracturée et divisée, il est indispensable de trouver le chemin de l’apaisement en portant des mesures dépassant les clivages. Cela est précisément le cas de la cause animale, soutenue par plus de 80% des Français, et ce, toutes sensibilités politiques confondues. Le Parti animaliste, transpartisan, incarne ce dépassement des clivages et cette capacité à rassembler autour des mesures qu’il porte.»
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Pour le moment, ce souci unilatéral à l’endroit des animaux conçus comme individus – et non seulement comme des êtres appartenant à une espèce – est encore politiquement minoritaire. Mais gardons-nous de croire qu’il en sera nécessairement de même à l’avenir : qui sait si, par l’effet du patient travail fourni par ces associations, médias et autres personnalités pour pénétrer la psyché contemporaine, nous ne verrons pas poindre, dans quelques années ou décennies, bien plus qu’un ministère dédié à la Condition animale, un bouleversement total de nos représentations du vivant, lequel induirait, le cas échéant, une redéfinition sans précédent de notre organisation sociale et économique, de nos modes de vie, en un mot : de notre manière d’être humainement au monde. Avant d’arracher aux circonstances l’opportunité de forcer le réel, l’utopie se contente de diagnostiquer, de s’indigner et d’interpeller.
Qu’un pays fasse étalage de ses doutes, de ses calculs de boutiquiers, de son inaptitude à tenir une ligne politique claire, et la porte s’ouvre. À la notation scolaire se substituent, alors, la rééducation et la coercition. L’animalisme n’est peut-être pas la première menace de notre temps, mais il est assurément un révélateur très concret des subtiles démissions civilisationnelles auxquelles nous nous sommes, progressivement et collectivement, soumis. S’il est une crise de régime, elle transparaît aussi là.