Et on aime ça !

À l’invitation du Club Taurin de Paris, le cinéma L’Arlequin avait bien rempli sa plus grande salle pour accueillir l’avant-première de Tardes de Soledad en présence du réalisateur Albert Serra qui a explicité son projet et sa réalisation, à la fin d’une projection très applaudie.
Albert Serra n’était pas aficionado quand il a lancé ce projet. Il avait vu quelques corridas dans sa jeunesse, mais sans vraiment accrocher : « La base, c’est que je n’ai rien à en dire, je filme donc pour voir ce qui se passe. » et donc, ce n’est pas un film sur la corrida et il ne satisfera pas non plus les anti-taurins : c’est une visite au plus intime du combat entre l’homme et le toro.
Les aficionados présents étaient unanimes : « on n’a jamais vu une corrida comme Serra nous la montre ; on vit la corrida comme si on était en piste. »
Francis Wolff l’explicite : « On ne l’a jamais filmée à une telle hauteur, au ras du sable et avec un cadrage aussi serré. On ne voit jamais la charge complète du taureau, ni une passe du début à la fin, ni une série complète enchainée. On voit essentiellement le corps à corps sans le début ni la fin de l’assaut, du geste dont le sens est volontairement gommé. On ne voit pas non plus la corrida, la fête. » (article dans les cahiers du Cinéma)
Albert Serra justifie ces gros plans : « les plans larges donnent de l’information comme un direct TV. Le Gros plan donne un film et permet de passer à l’art. »

Pour Serra, la corrida est une énigme et pour la résoudre, son seul moyen est de s’approcher au plus près, afin d’obtenir dans la salle de cinéma les mêmes réactions que le public dans l’arène. Il faut « faire confiance à la caméra pour dévoiler la vérité d’un sujet ».
Certes, quelques-uns trouveront qu’il met trop en avant la violence. Mais il s’en explique : « Je montre la mort du toro parce que c’est un moment de grande émotion et qu’elle est très belle. La violence est nécessaire, c’est elle qui apporte la transcendance : le film parle du courage et de la mort. On ne peut pas apprécier l’engagement, la valeur du torero, si on ne voit pas la violence. Et surtout : il est moins question de violence que de mort et de sacrifice. » Au total, il aura filmé 15 morts du toro mais n’en a gardé que 3.

Le regard du toro, en ouverture du film, dans la nuit face à la caméra, sans distraction est aussi un moment fort : Serra y voit la solitude de l’animal et (peut-être) une prémonition d’une mort prochaine, même si l’homme est seul à savoir qu’il va mourir. De là le titre du film.
Autres moments d’émotion, les cogidas subies par Andres Roca Rey, à Madrid et Santander. Mais elles mettent aussi en évidence l’extraordinaire engagement du (des) torero(s) : il retourne au combat comme si rien ne s’était passé. « Mais surtout, il ne surréagit pas, jamais. Il avance à un rythme plus lent que la normale aussi bien dans l’arène que dans la vie : c’est très poétique et très cinématographique ! Quand on voit son calme au milieu de l’agitation, c’est que sa vie dépend entièrement de sa capacité d’observation ; il doit rester calme et concentré afin d’étudier le toro. » On en retire une autre image d’Andres Roca Rey qui apparait bien comme le numéro 1 de cette décennie !

Une grande partie de cette émotion vient du son : Albert Serra a obtenu que Andres Roca Rey et sa cuadrilla portent des micros sur leurs épaulettes. De là les commentaires en direct tant dans le combat de l’arène que dans les moments plus intimes du coche de cuadrillas. Retenons cette phrase d’Antonio Chacon : « la vie ne pèse rien », au sens de il faut mépriser la vie, il y a des choses plus importantes à en faire « il faut l’utiliser pour en faire quelque chose de grand » ! Albert Serra y voit une métaphore de la corrida.
Mais ce qui frappe le spectateur dans ces moments, c’est la manière de la cuadrilla de veiller sur le moral du torero en multipliant non seulement les encouragements mais les compliments et les éloges donnant parfois l’impression de symboles d’esprit de cour.
Il a aussi pu enregistrer le son du toro, le martèlement des sabots, le souffle que le public, même en barrera n’entend jamais. Et pour compléter, il est allé enregistrer des toros dans les ganaderias ! Quant au public, il a disparu sauf par le son ce qui paradoxalement renforce sa présence !
Il y aurait sans doute encore bien des choses à dire sur ce film : le mieux est d’aller le voir pour ressentir l’énorme émotion qu’il transmet (sortie en France le 26 mars prochain) et de lire les interviews du réalisateur dans le dossier de presse du distributeur (à télécharger) :
https://www.dulacdistribution.com/film/tardes-de-soledad/194
ou ici :

JY Blouin https://facealacorne.fr/