
Ce sera ce vendredi soir la noche grande dans toute l’Andalousie. La célébration du vendredi saint : la mort du Christ. C’est le point d’orgue d’une semaine où se sont succédées les pasos et palios dans les rues de toutes les villes et villages de la nation andalouse. Une nuit retransmise en direct par Canal Sur qui valait la peine, même s’il fallait se coucher au petit matin pour voir jeudi soir la sortie de la Macarena retardée par la venue de la reine (honoraire) Sofia, la marche de la Esperanza de Triana, les immenses trônes malagueños et leurs innombrables costaleros arrimés à l’icône, leur capataz les encourageant avec cette verve si caractéristique d’un événement qui a tenu en haleine et mis dans la rue plus de la moitié des andalous.
Il y avait les soixante hermandades de Séville qui baladaient sur les épaules leurs saintes et pesantes images mais aussi celles de Malaga, Huelva, Alméria, Baza, Baena, Jaen, Ecija, Sanlucar, Cadiz, Jerez, Cordoue… j’en oublie. Chacune à ses pasos, plus ou moins précieux, ses couleurs, à son parcours, à ses manœuvres. Certains portent pieds nus, le silice en évidence ; d’autres iront richement vêtus chapeautés de ces capirotes désuets dans des tuniques de velours pourpre. Il y en a qui marchent en silence comme « le grand Poder » ou d’autres qui vont uniquement accompagnés de « vivats ! » comme à Baza ou encore suivie de musique envoutante et sensuelle comme la Esperanza de Triana ou la Vierge de los Gitanos. Et parfois comme à Huelva, à Lucena ou Cordoue, au coin d’une ruelle étroite la procession s’arrête, le marteau du capataz frappe: le bloc d’argent ou d’or ou de bois de Coliba s’effondre, alors jaillit d’un balcon une saeta, un cri qui fait frissonner et pleurer les plus sensibles à cette beauté populaire.
C’est un spectacle inouï…
De très nombreux toreros sont liés à la Semana Santa : depuis Joselito El Gallo à la « Macarena », Gitanillo à Los Gitanos comme la famille Miura ou Pablo Romero, Ordoñez et sa tribu à « La Esperanza », Chicuelo et Tomas Canpuzano au « Gran Poder »… La tauromachie s’inscrit dans cette diversité, dans ce qui est la manifestation concrète de la résistance à une mondialisation forcenée que l’on cherche à nous imposer par tous les moyens. Il ne s’agit pas de nier que la Semaine Sainte reste avant tout un acte religieux ; non évidement. Mais c’est, comme le Rocio, une manifestation collective où tout le monde à sa place croyant ou non croyant. Il faudrait une étude anthropologique fouillée pour en comprendre le sens dans sa complexité mais à l’évidence s’y exprime le sentiment d’appartenance à une histoire commune, l’attachement à un passé dont on ne peut pas faire table rase.
Federico Garcia Lorca et ses amis de la génération de 27 ont parfaitement réhabilité cette ferveur populaire que la Raison seule ne peut saisir, car la Raison -louable évidement et si française- n’explique pas tout; elle ne peut saisir la Semana Santa, le péleriange du Rocio, le flamenco et moins encore la tauromachie dans son ensemble complexe. La beauté, l’émotion, la sensibilité en sont en réalité les meilleures justifications.
Pierre Vidal