Plus de 90 000 spectateurs auront suivi sur les gradins du coso de la calle Jativa, les 12 spectacles organisés autour de la féria des Fallas. Ce succès est une très bonne nouvelle pour la tauromachie en général et pour les organisateurs qui voient là la juste récompense de leurs efforts. A cela il faut ajouter les dizaines de milliers de téléspectateurs qui auront suivi la féria grâce aux caméras de OneToro Tv. Cela clôt le débat définitivement : la télé ne nuit pas au spectacle, au contraire comme pour le foot et le rugby elle ne fait qu’augmenter l’engouement pour un spectacle qui a de la tenue, qui inspire passion et émotion. Enrique Ponce lui-même qui fut un des premiers à accepter les caméras de télévision n’a pas exclu que plusieurs des corridas de son retour soient télévisées –ce sera le cas- et il l’a même souhaité.
Succès populaire, succès artistique aussi dans sa tonalité générale avec en préambule, le geste héroïque de Roman, pathétique dans son six contre un poignant. Cette générosité, ce courage mériterait récompense mais hélas !, comme souvent, on ne voit rien se profiler pour le sympathique jeune homme qui a beaucoup donné.
Andrés Roca Rey cité deux fois au cours de cette féria en est le grand triomphateur. Un « Torero d’époque » titrait dans ces colonnes justement Charles Figini à son propos. Nous partageons tout à fait son point de vue. Le jeune péruvien a montré à chacun de ses passages qu’il est plus qu’une figure, plus qu’un numéro un: un torero du calibre de ceux qui font histoire, je veux parler pour les plus récents de Paco Ojeda et de José Tomàs. Du premier il possède cette capacité inouïe à se mettre dans le terrain du toro et de monter sans cesse à la corne contraire, du second il a cette entrega totale, cette manière unique « de laisser son corps à l’hôtel ».
Ce don de soi en fait le torero le plus taquillero du circuit (et de loin…) les deux llenazos valenciens en sont la preuve. Il est logique qu’une sorte de cabale de beaux esprits se monte pour lui nuire. Cela a toujours été dans l’histoire du toreo. Prenons par exemple le cas Juli : parmi ceux qui ont célébré son départ beaucoup s’étaient laissés aller à de violentes critiques à l’égard du Madrilène. Kant l’a dit : « Le sage peut changer d’avis; l’obstiné, jamais ».
La domination de Roca plébiscitée par le public fallero, ne doit pas faire oublier les instants de bon toreo qui nous ont été apportés par Morante de la Puebla face à son premier et à la cape surtout par Pablo Aguado et Juan Ortgea. C’est une sorte de concours de temple que nous ont donné les deux sévillans, sensationnels vraiment au premier tiers. Le toreo de capote, longtemps réduit à la portion congrue, retrouve ainsi sa grandeur, son intérêt, sa magie. Pablo et Juan s’inscrivent dans la grande tradition andalouse. Il est bon que ce fil-là ne se coupe pas. Ils incarnent la douceur, la retenue, la lascivité mais on regrettera toujours cette incapacité à construire -à concevoir- une faena dans sa globalité et leur maladresse congénitale à l’épée : la suerte suprême. Importants moments aussi de la part de Paco Ureña avec une main gauche d’une « rigueur janséniste » comme l’a si bien dit notre ami Nevière. Lui non lui n’a pas rématé ces instants magiques qu’il avait signé. Dommage !
Les anciens, Cayetano, Manzanares et surtout El Fandi sorti en triomphe, ont cumplido. Grands professionnels ils ont « fait le job ». La corrida de rejoneo n’a pas eu le succès escompté et la formule même de la corrida mixte a été critiquée à juste titre. Plusieurs toros ont étés protestés mais nous avons vu aussi des exemplaires remarquables de Jandilla, Juan Pedro Domecq et Montalvo. Fallait-il gracier Leguleyo de Jandilla comme l’a demandé le public ? Cela fait débat et c’est très bien. Sa mort au centre a montré son immense bravoure qui aurait méritée un autre sort. Cette ultime attitude aura attisé les regrets. Mais le règlement sera toujours opposé à l’émotion et les convenances à la justice.
Tracas et pétards se sont tus. La mascleta s’est arrêtée. On a brûlé les effigies. Les reines ont quitté leurs costumes empesés. L’heure de la Cremà est passée. Les rues de Valence sont redevenues silencieuses…
Pierre Vidal