Sur l’albero du Baratillo, Juan Ortega réalisait son chef d’œuvre hier, le jour même et presqu’à la même heure où l’on enterrait le grand artiste du rugby André Boniface dans son petit village de Monfort-en Chalosse. Coïncidence qui nous permet de faire un rapprochement non pas sur le rugby et la tauromachie qui ont si peu à voir (on les aime tous les deux néanmoins), mais sur une certaine conception de la vie, du spectacle, de la beauté des choses. Les landais, pour lesquels Dédé était une icône, le comparait souvent à Curro Romero car ils admiraient son goût du beau geste et son allure de majesté, sur le terrain comme en ville. Dédé marchait « en torero » sans être particulièrement aficionado.
Cette colonne de la beauté devenue inexistante dans le rugby moderne – Boni s’en plaignait- reste fondamentale du rite taurin. C’est un pilier souvent galvaudé, menacé et branlant. Séville en est une sorte de Mecque et de ses quartiers les plus humbles sont sortis les gardiens les plus brillants de ce Temple : je pense à Curro Romero, Pepe Luis Vasquez, au voisin jerezano Rafaël de Paula. Le rejet le plus saillant de cet arbre chenu est Morante de la Puebla venu des confins de la Marisma. Il l’a fait à sa manière à lui avec plus de techniques et de solutions que ses pairs et par conséquent avec des échecs plus rares mais avec une même exigence.
Toréer comme l’a fait Ortega hier cela demande beaucoup de courage et de lucidité. Avoir en tête le désir de séduire alors que l’on est confronté aux cornes du monstre ; ne jamais brusquer les attaques ; choisir la douceur pour conduire le fauve et trouver le bon rythme pour calmer la violence, cela exige un effort immense de concentration et une dense préparation. Certes on peut croire au duende, à l’inspiration car la raison n’explique pas tout et il y a des jours avec comme il y a des jours sans… Mais il n’y pas de véritable surprise pour qui sait observer :Juan Ortega portait en lui cette grande faena qui le révèle dans sa plénitude.
Ancien Ministre, grand aficionado et ami d’André Boniface, Jean Glavany rappelait hier soir dans le petit village chalossais pour un dernier adieu à celui que nous aimions car justement c’était un artiste, ce théorème du champion : « Baisser la tête, c’est se regarder soi-même, réduire son champ de vision. Lever la tête, c’est regarder plus loin, observer la défense adverse pour repérer les ouvertures et faire les meilleures passes possibles. Lever la tête, c’est une philosophie de la vie ».
Et nous somme heureux que la faena lumineuse de Juan Ortega nous donne ici l’occasion de rendre hommage à celui qui, avec son frère Guy, fut le héros de notre jeunesse.
PV