Je suis encore sous le choc des grâces de toro dont j’ai été spectateur depuis quelques jours : Azpeitia, Dax, Béziers. C’est comme si dorénavant une féria réussie devait comporter la grâce d’un toro, même si celle-ci est un peu tirée par les cheveux, pour ne pas dire par les cornes. A tel point qu’il va falloir bientôt ouvrir une catégorie de plus dans les statistiques des temporadas : nombre de toros graciés par matador, par arène, …
Que deviennent tous ces toros graciés en France et en Espagne ( on en compte déjà plus de quinze depuis le début de la saison, dont trois le même jour en trois arènes espagnoles différentes ) ? Est-on sûr qu’ils font tous la joie des éleveurs qui doivent les soigner et les rapatrier chez eux alors même qu’ils ne répondent pas tous aux critères d’une « vraie grâce » ?
Il faut d’abord rappeler que la grâce d’un toro était il y a encore peu de temps accordée pour un toro bravo ( sauvage ) dont le comportement à la pique était exceptionnel : trois piques minimum en partant de plus en plus loin et en poussant avec les deux cornes en mettant les reins. Il s’agissait de gracier un toro pour qu’il devienne un bon reproducteur de sa sauvagerie, de sa force, de sa caste et de son » trapio ».
Temps révolu.
Maintenant on gracie le toro qui est un parfait collaborateur du matador qui le torée : charges fixes et infinies, noblesse, endurance. Peu importe son comportement à la pique, qui est, rappelons le, le principal tercio permettant de juger les qualités de sauvagerie et de force du toro. Partant de là le matador se voit octroyer oreilles et queue d’un toro qu’il n’a pas tué.
Ainsi Clemente sort des férias de Dax et Béziers avec un total de 4 oreilles et 1 queue sans avoir tué ses toros, ce qui est extrême pour un « matador de toros ». Et s’il avait « pinché ? »
Idem pour Colombo à Azpeitia.
Faire en plus la vuelta avec des trophées provenant d’un autre toro précédemment tué a quelque chose de ridicule. Maintenant que la grâce du toro devient un standard des férias Il y a là sans doute quelque
chose à revoir dans le règlement taurin. Une vuelta très fêtée en compagnie du mayoral serait bien suffisante.
Et puis il faut arrêter de dire et d’écrire que tel ou tel matador a grâcié son toro. C’est le président de la course qui gracie à la demande du public, et non à la demande du matador, ni à celle de l’éleveur comme on a pu le voir à Béziers.
Pour manier le paradoxe on peut également penser que c’est l’excellence du toro à la muleta qui offre au matador la possibilité de ne pas avoir à faire son métier de tueur de toro. C’est en ce sens le toro qui gracie le matador.
Certes on dit que la grâce n’a été possible que parce que le torero, par sa faena, a su mettre en lumière toute la bravoure et la caste du toro. Mais tous les matadors actuels savent toréer et ils ne laissent jamais passer un « grand toro de muleta ». Il n’y a qu’à voir la diversité des différents toreros qui ont gracier cette année pour s’en convaincre. Mais là n’est pas l’essentiel de mon propos.
L’essentiel est ma crainte de voir ces grâces incessantes finirent par donner des arguments aux « animalistes ». Car elles présentent les toros comme des collaborateurs du matador et accréditent l’idée
que les éleveurs arrivent maintenant à façonner des bêtes, non plus sauvages, mais dociles. Et alors l’essence même de la corrida, c’est-à-dire l’intelligence humaine dominant et tuant ne bête fauve lâchée en piste avec toute sa fureur, s’effondre, et par la même l’éthique de la corrida. Il n’y aurait alors plus de justification à faire souffrir des bêtes façonnées par l’homme pour le seul plaisir de l’homme.
Croire que gracier un toro c’est donner des gages aux animalistes est faux.
L’homme n’est pas l’égal de la bête fauve, et gracier les toros parce qu’ils se sont bien comportés en piste pourra un jour prochain se retourner contre nous.
Attention !
EXIR