
Le départ inattendu de Morante de la Puebla a laissé désemparés de nombreux aficionados. Plus que de la tristesse et que des regrets bien naturels du Maestro de La Puebla c’est une sorte d’angoisse qui se cachaient derrière la question : que sera l’après Morante ?
Il est vrai que dimanche dernier nous avons atteint un pic que la tauromachie n’avait pas atteint depuis de longues années. Disons pour évoquer un passé récent depuis la bataille (perdue) de Barcelone et l’ultime paseo de José Tomas dans la capitale catalane. Même ferveur, même engouement médiatique, même mobilisation de l’aficion. Dimanche, la célébration d’Antoñete devenait accessoire et le départ de Robleño annexe au sacre du torero cigarrero qui avait annulé ses engagements précédents (Saragosse) pour arriver « à tope » dans le temple de Las Ventas.
Il s’y coupa la coleta de manière inattendue dans la plénitude de sa gloire après une faena d’école où il se fit très peur à la cape. A la muleta il opta pour une rigueur extrême face à un adversaire médiocre, s’engageant avec générosité et temple dans des séries courtes et profondes. Son estocade fut un modèle et le triomphe unanime. Que pouvait-il faire de mieux que d’arrêter là, sur une note si élevée, une aventure qui commençait à devenir dangereuse, minée par ses démons intérieurs ? Toujours lucide dans la vie comme devant le toro, sûr de ces choix -il brinda son ultime toro à Abascal, le chef de Vox de manière ostensible-, assumant ses échecs, José Antonio est un homme décidé qui malgré ses carences psychologiques -ou grâce à elles- y voit clair dans la vie. Il était temps pour lui de mettre un point final à sa carrière avant que les choses ne tournent mal. Il l’a fait et il a bien fait.
Pourquoi Morante ? C’est la question que l’on devra se poser. « Nous avions faim mais nous avions Manolete » disait-t-on au moment de la mort du Cordouan. L’autre Calife « Manolo » El Cordobes ne tenait-il pas son exceptionnelle popularité d’une aspiration à la modernité face à la rigidité du système franquiste dans son ultime version ? Tout ce qui se passe dans l’arène à un sens et peut se rapporter à la société, à son contexte. Pour Morante ce sera peut-être un sentiment crépusculaire d’un monde que nous aimions et qui nous échappe : le monde de la poésie, de la beauté, d’un passé aimé et remplacé désormais par l’univers sans âme de l’Intelligence artificielle, du numérique, de la violence alors que cet homme venu du campo incarnait, dans l’enceinte sanglante, une douceur profondément humaine…
Il y eut un après Joselito, un après Manolete, il y aura un après Morante même si celui-ci, dans sa meilleure version, est venu dans un moment difficile pour l’art de Cuchares et que sa contribution à sa pérennité n’est pas mince. Après le vote des Cortés consolidant de manière très nette (grâce à l’abstention socialiste) l’avenir de la corrida dans son berceau, avec le succès incroyable des retransmissions télévisées (Canal Sur, CMM TV, A Punt, ect.) et les bons résultats d’ensemble aux taquillas on peut voir l’avenir avec un optimisme raisonnable mais attentif. Attentif car nos adversaires n’ont pas désarmé et que la destruction de la tauromachie est un des éléments essentiels de la grande offensive wokiste qui bénéficie de moyens inépuisables.
Il y aura un après Morante car il y a eu cette année des noms nouveaux qui sans atteindre ces sommets nous ont donné du bonheur. Je pense à David de Miranda qui est pour moi la grande révélation de la temporada, à Fortes le profond malagueño, au bouillant Borja Jimenez et côté français à Clemente qui s’ouvre un chemin chez nos voisins. Voici quelques noms, il y en d’autres, plus jeunes encore.
Personne ne remplacera Morante et nous avons eu la chance de l’avoir eu, il nous quitte c’est triste car c’est un peu de nous-même qui s’en va. Ainsi va la vie mais, comme le disent les professionnels « the show must go on».
Pierre Vidal