Durant cette respiration entre deux temporadas où l’actualité est rare -nous ne l’oublierons pas- revenons sur le passé. Grâce à leur directeur Jean Paul Laffont les éditions Gascogne dans la Collection La Verdad ont publié 15 livres sur les acteurs de la corrida depuis quelques années. Ces livres rédigés par de grands professionnels du journalisme nous donnent de précieuses indications sur la tauromachie moderne. Ils n’ont pas bénéficié de la publicité qu’ils auraient méritée. Voici pour commencer un extrait de l’ouvrage consacré à Curro Diaz le grand torero de Linares peu vu cette année en France et qui a pourtant réalisé une temporada magnifique cette année encore. Un ouvrage écrit par Antonio Arévalo que l’on peut acheter sur tous les sites commerciaux en ligne ou commander dans toutes les bonnes librairies.

PV

Curro Díaz est né a priori le 20 mai 1974 à Linares, l’année étant sujette à caution car, comme nous le verrons plus tard, les toreros falsifient souvent leurs pièces d’identité pour démarrer avant leur carrière. Curro serait donc plus jeune de ce qu’il n’affiche. Mais encore plus choquant est le lieu même de sa naissance, avec le recul de l’ordre du symbolique, voire surréaliste.

Il a vu le jour dans la même chambre d’hôpital où s’est éteint, le 29 août 1947, celui qui était considéré comme le plus grand des toreros : Manolete.

Laissons la parole à Curro pour nous raconter cette première et surprenante éphéméride :

-Mon grand-père paternel était infirmier au sein de l’équipe médicale du docteur Garrido, celle qui assista à la mort de Manolete. Il a toujours travaillé à l’hôpital « Los Marqueses » de Linares. C’était quelqu’un de très connu et de très apprécié. Mon père est aussi rentré dans cet hôpital en tant qu’administratif. L’anecdote est étonnante mais on n’y a jamais attaché d’importance. Mon grand-père était terriblement aficionado, un partisan féru de José Fuentes. Mon père a hérité de sa passion et il travaillait dans cet hôpital quand ma mère a accouché. Mais il faut aussi savoir que cet hôpital n’était pas comme ces immenses CHU d’aujourd’hui, c’était plutôt familial, il n’y avait pas beaucoup de lits. Je ne sais pas si les circonstances de ma naissance ont pu me marquer mais à l’heure d’une biographie ça fait curieux.

-As-tu eu l’occasion d’en parler avec ton grand-père ? Il était forcément au courant qu’une tragédie s’y était produite. S’agissait-il d’une coïncidence souhaitée ?

-Je devais avoir quatre ou cinq ans quand il est décédé, je ne garde que de vagues souvenirs de lui.  Je ne sais pas s’ils savaient que j’allais être un garçon, je pense que oui, mais de là à ce que mon grand-père imagine que je devienne un jour torero…

-L’ambiance taurine, l’as-tu vécue depuis tout petit ?

-Mon père était aficionado practico*, il a même toréé en piquée. Chez moi, par cette proximité des élevages de Linares et par l’aficion de mon père, il nous était facile d’aller au campo pour toréer. Quand j’étais petit on allait dans des fêtes où on toréait des vachettes. Chez moi, j’ai toujours vu des capes et des muletas mais je savais aussi que mon père ne se consacrait pas à la tauromachie.

-Il vous a inculqué, frères et sœurs, cette passion ?

-Non, c’est venu naturellement, notre éducation n’avait rien à voir avec la tauromachie.

-Dans ton quartier de Linares : on parlait corrida ou c’était plutôt foot ? 

-Je suis né dans une ville taurine par excellence, je crois aussi que l’histoire de Manolete a marqué tous ses habitants : nous portons Manolete dans notre ADN. C’est une ville de création d’où sont originaires beaucoup d’artistes et de toreros.

-Ton premier contact avec la corrida : est-ce au cours de ces fêtes que tu évoquais, en allant aux arènes ou en regardant des retransmissions à la télé ?

-C’est un peu un cumul. Linares n’est pas une grande ville, tout est très proche. J’allais depuis toujours avec mon père à la feria de San Agustín, depuis mes six ou sept ans. J’oublie parfois ce que j’ai fait avant hier mais je n’oublierai jamais avoir vu El Niño de la Capea a Linares, José Fuentes* qui était sur la fin de sa carrière et surtout Manzanares. C’est comme si je l’avais vu hier, ce n’était pas seulement sa façon de toréer, c’était l’aura qu’il dégageait.

-Enfant, comment ressentais-tu l’ambiance dans ces arènes ?

-Il y avait l’odeur des cigares, ces pasodobles qui résonnaient, tout était comme enveloppant. Des odeurs, des couleurs, ça me fascinait.

-Vous parliez corrida avec ton père après les corridas. Vous emmenait-il dans des tertulias* ou voir les toreros ?

-Non, non, pas du tout. Par contre, il y a un jour clé dans ma vie taurine. Mon père organisait un festival dans un village de la province de Jaén qui s’appelle Mengíbar. Il a été voir des novillos à la gare de Baeza, un quartier de Linares à cinq kilomètres du centre et ce jour-là, par le fruit du hasard, il y avait une tienta. Je devais avoir neuf ou dix ans et je n’aurais jamais imaginé que j’allais toréer pour la première fois. Mon père était parti voir les novillos et pendant ce temps j’étais sur un muret avec une vingtaine de gamins. Ils ont pris des numéros dans un chapeau qu’on leur tendait et j’ai fait pareil. Mon père est revenu et m’a dit qu’on devait repartir, mais j’ai dit que non, que j’attendais mon tour pour toréer, je m’y étais engagé, je me sentais un peu obligé, je ne pouvais plus reculer. Dans ma tête, c’était un engagement et même si j’avais très peur, il fallait que j’assume. J’ai attendu presque jusqu’à la dernière heure pour toréer.

-C’était comment ?

-Je ne saurais dire, c’était une sensation complètement différente. La vachette a suivi ma muleta, je me suis senti puissant. Quand je suis sorti de la propriété, à neuf ans, à cet instant bien précis, j’étais totalement convaincu que je voulais être torero. C’est avec ma grand-mère que j’ai partagé en premier cette conviction.

-Gardes-tu d’autres souvenirs de ce jour ?

-Je me souviens que la muleta m’avait été prêtée par David Sánchez « Saleri »*, mais ce n’était pas à vrai dire une muleta, c’est sa mère qui l’avait cousue. Ce fut la première muleta avec laquelle j’ai toréé, celle de « Saleri », devenu depuis matador de toros.

-As-tu parlé à ton père de ce que tu avais ressenti ?

-Non, pour moi c’était l’évidence même que j’étais torero. Le 6 janvier de l’année suivante, je débutais en non piquée à l’âge de dix ans ou onze. On avait trafiqué mes papiers, ma date de naissance, ma sécurité sociale. Beaucoup de toreros ont fait pareil, je pense que depuis ces méfaits sont prescrits. C’était à Berja et j’y ai coupé à mon premier novillo la queue.