Durant cette respiration entre deux temporadas où l’actualité est rare -nous ne l’oublierons pas- revenons sur le passé. Grâce à leur directeur Jean Paul Laffont les éditions Gascogne ont publié dans la Collection La Verdad 15 livres sur les acteurs de la corrida depuis quelques années. Ces livres rédigés par de grands professionnels nous donnent de précieuses indications sur la tauromachie moderne.

Après un extrait de l’ouvrage consacré à Curro Diaz le grand torero de Linares, par Antonio Arévalo nous avons donné la parole à Patrick Varin un des toreros les plus brillants de sa génération interrogé par Yves Debas. Voici maintenant un extrait de la rencontre avec le grand philosophe Francis Wolff, pour des “Moments de vérité” signés Pierre Vidal.

 Un ouvrage que l’on peut acheter sur tous les sites en ligne ou commander dans toutes les bonnes librairies. Dans cet extrait Francis Wolff évoque les deux toreros qui ont le plus compté pour lui Paco Ojeda et José Tomas.

PV

 -Il y en a eu seulement deux ; sans doute je ne reverrai pas ça dans ma vie. Je tiens plus à ce chapitre de « Philosophie de la corrida » que je leur ai consacré qu’à tous ceux dédiés à la défense de la corrida. D’un point de vue philosophique, pour moi, c’est le plus essentiel. J’ai appelé ce passage : « deux philosophies de la liberté ». J’essaie de rentrer dans l’image extérieure, opposée, de ces deux toreros et, progressivement, de décrire leur toreo, de dire ce qu’il exprime : deux versions opposées sur le plan philosophique de ce qu’on a pu appeler la liberté.

-Que représente Paco Ojeda… ?

-Paco Ojeda c’était la liberté absolue. Comme un philosophe comme Sartre aurait pu la définir : l’homme qui est tellement libre qu’il s’impose par sa volonté à l’ensemble du monde et de la nature. Il donnait le sentiment qu’il ne dominait pas les toros. Il les fascinait. Il les hypnotisait. Il avait ce côté magique de l’homme tellement dominateur qu’il n’exerce plus sa domination. Une forme de liberté expansive, comme si le pouvoir s’étendait bien au-delà de lui-même, partait de son âme, passait par son physique, ses pieds plantés dans le sol. Il n’allait pas bouger quoiqu’il arrive et qui de toute façon ne bougerait pas car il avait la certitude qu’il pourrait aimanter le toro dans une autre direction que celle qu’il voulait prendre. Cette idée que tout l’espace lui appartient : du monde, de l’arène… comme une émanation de lui-même.

-En quoi le toreo  de José Tomás s’oppose à celui de Paco Ojeda ?

– J’oppose José Tomás à Paco Ojeda, car il porte une autre conception de la liberté. Je pense que le secret… le secret de ce qui m’a touché dans la tauromachie, c’est ce que l’on appelle « l’aguante ». Un mot difficile à traduire… Il y a eu d’autres toreros d’aguante : César Rincón, Sébastien Castella, Miguel Angel Perera. Les toreros d’aguante ce sont qui disent «  je suis là, je ne bougerais pas. Ma place est ici. » Cela vient du verbe aguantar que je traduis par résister. Au fond ce sont deux toreros de la résistance au sens où ils sont décidés à tout : résister à la charge, à l’animal, au vent… J’ai vu une faena de José Tomás au Puerto de Santa Maria en 2000, hallucinante, malgré un vent terrible, il se plante au milieu du rond. Comme Ojeda -et cela je l’ai vu !- était capable d’arrêter un toro en pleine charge et de le faire reculer… Tomás ce jour-là au Puerto arrête le vent de la baie de Cadiz. Faena symétrique : il débute au centre, de manière géniale, et il revient dans le terrain intermédiaire pour le tuer au centre.