Profitons de la sortie de l’excellent film de Quentin Dupieux « Daaaaali ! » qui bénéficie d’un succès populaire inattendu malgré une critique boudeuse pour évoquer une part de l’œuvre exceptionnelle et de la vie mise en scène de manière géniale, du Catalan : sa passion pour la tauromachie. En matière de toros, on se réfère souvent à son alter ego, Picasso, parfois aussi au colombien Botero –à juste titre bien sur- mais on oublie souvent de rappeler le lien direct de Dali avec l’univers des toros.

Il a d’abord consacré une de ses œuvres majeures à la tauromachie  « Le torero hallucinogène ».  Une huile sur toile de Salvador Dalí, datant de 1970, elle est exposée au Musée Salvador Dali de St. Petersburg, Floride, États-Unis. Il y travailla pendant deux ans. Elle regroupe une grande partie de ses thèmes visuels, éclatés en un foisonnement de détails et finalement rassemblés dans la grande figure cachée du torero suivant la méthode paranoïaque-critique chère à l’auteur. Les spécialistes présentent l’œuvre ainsi : « La mort est le sujet principal ; mort et sang du taureau dans l’arène, mort et larme du torero, hommage au frère mort, les anges de la mort, les mouches cadavériques, cheval mort et la femme de l’angélus dont Dalí était persuadé qu’elle priait pour son fils mort. Mais cette mort est aussi intimement liée à la résurrection : Le taureau mort est immédiatement remplacé par un suivant dans l’arène, les mouches pondent une promesse de vie dans le cadavre, et Dalí est la résurrection de son frère homonyme mort avant lui. Le torero dans ce sens, victime expiatoire d’un spectacle public, pourrait être une figure christique ».

Mais Dali aimait aussi mettre en scène ses passions. Ainsi on le vit s’installer en barrera de la Monumental de Barcelone pleine « a tope » cette après-midi-là, quelques secondes avant le paseo. Vétu d’une de ces vestes en velours et armée d’une cane eu pommeau d’argent, il était coiffé d’une sorte de bicorne en pain, énorme et grotesque. Il reçut alors une longue ovation de toute la plaza debout, saluant l’esprit si particulier de ce que l’on nommera le « catalanisme » auquel a succédé désormais l’appauvrissement mondialiste et avant tout mercantile porté par les indépendantistes.  

Dali qui avait lié une amitié très vive avec Paco Camino avait aussi imaginé de monter une corrida dans les arènes de Figueras -aujourd’hui détruites- où le sévillan défilerait. Un arbre –un chêne ?- poussait au milieu du ruedo et il avait été conservé. Le Maître devait organiser une corrida historique où les toros dument combattus et occis seraient transportés jusqu’à la gare de Perpignan qui comme chacun sit est « le centre du monde ». La corrida eut bien lieu mais en raison du mauvais temps l’hélicoptère ne put décoller et les toros finirent dans l’abattoir de Figueras. Le rêve dalinien ne put ce jour-là s’exprimer.

Demeure l’image vivante dans nos mémoires d’une intelligence originale, politiquement incorrecte, provocatrice et finalement séduisante qui fut, à sa façon paradoxale, un grand aficionado.

Pierre Vidal