Photo JY Blouin

Mercredi. Plaza de toros de La Real Maestranza de Caballería de Sevilla. 8º de la Feria de Abril. Casi lleno.

Toros de Domingo Hernández y Garcigrande(1º, 3º, 4º et 6º), le quatrième  ‘Ligerito’, nº 82, negro, né le 12/18, de 515 kilos, hierro de Garcigrande: vuelta al ruedo. L’ensemble disparate manquant de race et de force mais noble. Le quatrième avait de la classe et a duré. Le sixième brave est allé à menos.

Photo JY Blouin

MORANTE DE LA PUEBLA, ovation et saluts et deux oreilles et la queue. 

DIEGO URDIALES, silence après avis et ovation et saluts. 

JUAN ORTEGA, ovation et saluts et silence.

Morante est sorti par la Porte du Prince. Il a été porté en triomphe jusqu’à l’hôtel Colon aux cris de torero ! torero !

La dernière queue coupée au coso du Baratillo l’avait été en 1999 par le cavalier Pablo Hermoso de Mendoza, toro de Bohorquez. La précédente l’avait été en 1971, le 25 avril, par Francisco Ruiz Miguel à un toro de Miura qui s’appelait “Gallero” (numéro 100). Cela fait donc 52 ans que cet exploit n’avait pas été réalisé.

Il y a des tardes que l’on dit historiques et qui sont vites oubliées, la tauromachie est en effet le reflet de la vie, de nos enthousiasmes, de nos foucades qui s’envolent avec le temps et dont le souvenir s’efface. Et puis il y a des moments de gloire qui restent inscrits dans le marbre de la mémoire et que rien ne pourra effacer : ce fut le cas ce soir sur les rives du Guadalquivir sur l’albero historique de la Maestranza, dans ce temple du toreo où il faudra ériger un monument à Morante.

Morante de la Puebla Domingo Hernández Séville 26 avril 2023 © Ferdinand De Marchi

Pourquoi pouvons-nous dire, écrire que ces moments vécus ce soir ne furent pas éphémères mais appelés à entrer dans la légende de cet pratique si particulier qu’est la tauromachie ? Parce que Morante a interprété dans sa pureté, sa vérité, sa profondeur le meilleur de ce que l’art taurin est devenu depuis sa création. Il a assimilé le meilleur d’El Gallo, auquel son costume bleu et azabache était une référence explicite, en y incorporant l’ajout fondamental de Juan Belmonte : la lidia d’un côté, l’art de l’autre.

Photo JY Blouin

Les deux prestations de Morante, la seconde surtout, sont portées d’abord par une technique immense, une compréhension des terrains de l’animal, de la distance et du rythme exigé. Morante demande beaucoup à l’animal, il privilégie le toreo par le bas mais jamais, comme on a pu le constater hier, il n’abuse. Ainsi son second toro qui avait déjà beaucoup donné à la cape put faire, malgré une caste limitée et des forces réduites, une faena entière et quelle faena! A cette technique irréprochable Morante ajoute une esthétique très personnelle qui s’inscrit dans un corte sévillan, marqué par l’élégance et la personnalité.

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A la différence de ses glorieux prédécesseurs, Curro Romero ou Rafaël de Paula qui étaient là pour l’admirer, il possède un registre très vaste à la cape qui va de la larga à la gaonera (de frente por detras) en passant par la chicuelina basse et serrée ou la tafallera -un quite, souvent vulgaire, donné hier de face avec temple. Le temple c’est évidemment le pilier du morantisme: tout les passes sont données dans la cadence avec un engagement total. A la muleta si les séries de naturelles impressionnent par le ligazon et la beauté, son registre ne s’y limite pas : trincherillas, ayudados, et ces naturelles pieds jointes finales à son second toro qui évoquaient le grand Manolo Vasquez. Conclusions royales. Deux bonnes estocades en se mouillant les doigts, la première desprendida.

Diego Urdiales Domingo Hernández Séville 26 avril 2023 © Ferdinand De Marchi

Difficile d’exister à l’ombre de ces sommets : Diego Urdiales a été digne face à son second toro mais sa réplique, lors de son quite au toro du génie de La Puebla eut quelque chose de pathétique: comment se comparer, tenter de le faire ? Quand souffle le vent de l’Inspiré ne vaut-il pas mieux s’abstenir ? En fait, comme souvent, Diego ne fut ni bien ni mal et ne fit d’ombre à personne. Comment lui en vouloir ?

Juan Ortega Domingo Hernández Séville 26 avril 2023 © Ferdinand De Marchi

Juan Ortega aura sans doute contribué à pousser Morante dans ses retranchements: en effet son toreo de capote fit sonner la musique par sa beauté et sa lenteur surtout. Le torero de La Pueba avait trouvé là un sévillan à qui parler ce qu’il fit de suite. en répliquant à son quite dans un duel splendide. Juan Ortega est sans aucun doute un des meilleurs capeadors du moment celui qui toréé le plus lentement. Cela compte à Séville ! Mais cela ne suffit pas et Madrid ne l’a pas engagé -il va y manquer. Il ne put rémater ces bons débuts à la muleta et son imprécision à l’épée fut rédhibitoire.

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Nous voilà devenu tous Morantistas ce soir. Le Colosse de La Puebla, récompensée d’une queue que personne ne lui chicanera, proclame dans sa perfection le discours universel du toreo. Il est donc lui-même universel.

Pierre Vidal